Lire Pierre Lurçat, par Richard Rossin
Lire Pierre Lurçat, l’essayiste et le traducteur notamment des mémoires de Vladimir Jabotinsky est toujours intéressant et enrichissant. L’œuvre est importante.
En publiant un livre sur sa mère et un livre de souvenirs de sa mère, il a réussi à éviter les écueils de ce genre difficile qui, le plus habituellement, ne réjouit que les proches.
Bien sûr, son ouvrage[1] est un hymne à la mère mais il va au-delà. C’est une page d’Histoire. Il raconte la saga de mondesdisparus, celle des Juifs de l’Est, celle du sionisme pionnier en Israël. Sionisme enthousiaste, sa générosité militante sur le terrain, ses difficultés et finalement l’échec ; la vie était devenue trop dure à ses grands-parents avec la naissance d’enfants. Et c’est l’exode vers Paris où, malgré le choc culturel, la difficulté de la langue, l’accent qui ne disparait jamais, les travaux harassants des gens simples, ses grands-parents et sa mère vivent une assimilation forte et un amour de ce pays. Une vie de labeur qui parait aujourd’hui pittoresque. Et pourtant, de la sueur et de la joie. Un Paris pittoresque et disparu. On y parle de la guerre, des regards suspicieux des voisins et de la police et pourtant… pourtant sa mère reste une adolescente rebelle, elle a quatorze ans. Ils échappent aux rafles et à la déportation mais pas aux camps en France. Sa mère le raconte. Et dans sa vie de jeune adulte, le flirt poussé avec le communisme, comment y échapper après-guerre ? Et du coup, les rapports ambigus de la gauche avec le sionisme rendent les relations difficiles d’autant que son frère ainé est officier dans la jeune Tsahal. Et tout bascule à Prague avec son époux en mission pendant six mois pour une officine du parti communiste en 1951 en plein procès Slansky. Une confrontation entre les rêves de l’idéologie et la violence de la réalité. De retour à Paris, elle se consacre de plus en plus à la vie familiale et à la psycho-sociologie naissante. Une mère qui n’a cessé de se dévouer, de transmettre et de chanter quelque soient les vicissitudes. Quel message !
Et Pierre a trouvé un manuscrit inédit de sa mère, ses souvenirs d’enfance et d’adolescente[2]. Le charme du récit efface le tragique. Les difficultés deviennent des anecdotes. Bien sûr, les difficultés du Yichouv puis à Paris, dans le monde populaire de Monge/Maubert devenu depuis « bobo », les petits enfants qui jouent dans la rue pendant que les parents s’éreintent au travail. L’école et la maitresse qui dit que Lili ce n’est pas un prénom alors qu’elle venait justement de transformer Lipah en Lili pour faire plus français… la suspicion et les préjugés de certains enseignants sur les enfants d’étrangers. Les difficultés avec l’administration de la République quand on parle mal le français et qu’on a une autre culture. La pauvreté et les conditions de vie de l’époque : l’eau est au mieux sur le palier et les toilettes sont dans la cour. La rue pour se former, le cinéma et la bibliothèque pour se cultiver dans la joie car la joie est toujours là. Pour ces enfants, l’école de la République est la liberté. On méprise l’antisémitisme de l’entre-deux guerres, on en fait un problème de classes sociales. On assiste aux réflexions et pensées d’une enfant sur les adultes, regards qui sont d’une grande acuité.Et encore, la description d’un monde cosmopolite d’immigrés qui ne rêvent que d’intégration. Puis arrive la guerre et la débâcle.L’étoile jaune que les porteurs, honteux et apeurés, s’ingénient, évidemment, à cacher dans le métro, les regards sur eux, distants et suspicieux, des autres Français, lesquels prennent de la distance avec les humains marqués comme des animaux. Les histoires de dénonciations par des époux, des voisins, des profiteurs. L’adolescence et le flirt avec la résistance, l’arrestation de son père interné à Drancy où elle fait un court passage, si passer deux mois à Drancy est court… Le fait d’avoir été en Palestine mandataire fait de la famille des sujets britanniques qui sont exemptés du port de l’étoile et les fait envoyer à Vittel avec les autres ressortissants étrangers. La convention de Genève…
LaLibération ! La Libération est une explosion de libertés. C’est d’abord le BAC puis PCB où elle échoue, enfin la psychosociologie grâce au Pr Wallon. L’après-guerre c’est aussi le bilan des disparus et les séquelles chez les survivants et les groupes sionistes qu’elle quitte. Comment ne pas se rapprocher des communistes en ces temps-là ? C’est d’abord de la chaleur et de l’enthousiasme dans l’association des Auberges de Jeunesse, une succursale. Son séjour de six mois à Prague en plein procès Slansky avec son premier époux et son bébé Olivier, la guérit des structures politiques. Elle se consacrera désormais à ses recherches et à la deuxième famille qu’elle bâtit. Quelle saga !
Pierre Lurçat a aussi, récemment,traduit, préfacé et publiéun essai de Jabotinsky : La rédemption sociale : éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque[3]. Cet ouvrage majeur rassemble les idées économiques d’un homme qu’on fait croire de droite, quasi fasciste, et dont les pères travaillistes de l’Etat d’Israël auraient bien fait de s’inspirer pour la justice sociale. L’ensemble est passionnant et salvateur.
Richard Rossin
[1] Pierre Lurçat, Vis et ris, éditions L’éléphant-PIL, Jérusalem 2021.
[2]Liliane Lurçat, Un parapluie pour monter jusqu’au ciel, Amazon.
[3] Sur Amazon