Constat d’autocritique abusive | Par David B.
Quel déferlement de haine ces derniers jours sur Internet et les réseaux sociaux ! Comme à notre habitude, dès que des événements tragiques mettant en cause des juifs ayant commis des actes atroces, nous, le peuple juif, avons tendance à nous auto flageller d’une manière excessive, et je dirais même presque préventive. C’est comme si nous voulions couper l’herbe sous les pieds de la communauté internationale afin de nous excuser par avance et obtenir le moins de condamnations possibles. Alors pour calmer les esprits, on condamne tout haut, immédiatement, et de manière quasi automatique. Souvent on prend même les devants, en allant jusqu’à informer nous-mêmes les autres de nos propres méfaits afin de leur montrer que nous sommes de bonne foi et que nous pensons différemment que celui ou ceux qui ont commis le ou les actes en question. Les médias français n’ont pas consacré plus de vingt secondes au fanatique religieux qui a poignardé six personnes à la Gay Pride de Jérusalem. Depuis ils sont passés à autre chose. Mais nous, on en débat encore sur la Toile. Et on pousse, jusqu’à aller loin, parfois trop loin. On dérape. Prenant la bible en référence, certains expriment leur homophobie. D’autres, dont je fais partie, ne sont pas en choc épileptique de voir une Gay Pride à Jérusalem, comme il y en a à Rome. Je comprends que certains soient choqués par ce symbole, rien ne les oblige à regarder ailleurs que sur l’itinéraire une fois par an. Voir des hétéros se trémousser et se rouler des pelles à moitié à poil avec des plumes dans le cul lors de grands carnavals ne choque pourtant pas plus que cela. Mais les gays qui affichent leur statut, mon Dieu quelle horreur, ou plutôt quelle perversion ! La samba doit mieux s’y prêter que la techno. Moi, ce qui m’a choqué, c’est la mort gratuite d’une môme de seize ans par un malade qui a tué au nom de Dieu en oubliant de respecter l’un de ses plus importants commandements, mais cela a bien sûr indigné tout le monde.
Je me pose cependant une question. Si un malade faisant partie de ceux qui étaient contre le mariage pour tous, un catho extrémiste s’était mis à poignarder six personnes au hasard à la Gay Pride de Paris… Quelles auraient été les réactions ? En aurait-on fait un problème religieux ? Tous les catholiques se seraient-ils mis à condamner unanimement sur la Toile avec un genre de « Not in my Name » afin de se démarquer ? Moi je pense que si débat il y devait y avoir, dans les médias français ou sur Internet suite à un drame similaire, il se porterait sur l’homophobie.
Mais nous, non. Même lorsque ce sont des juifs qui s’en prennent à d’autres juifs, nous nous autocritiquons et nous soumettons à des jugements externes. Mais comme cela n’intéressait pas trop les médias, il a fallu quelque chose de pire arrive, quelque chose comme des juifs qui s’en prennent à d’innocents palestiniens. Là l’encre se remet à couler, la machine médiatique peut être relancée de partout. On envoie des journalistes, on fait du reportage, on comble du temps d’antenne, on remplit les sites à coups d’articles bien à charge. Là, les condamnations peuvent pleuvoir, et elles sont légitimes qui plus est. Et c’est l’ensemble de la société israélienne, des juifs, qui peuvent être blâmés. Car des juifs fanatiques religieux de Cisjordanie, des territoires occupés, des colons, ont assassiné un bébé palestinien en mettant le feu à la maison d’une innocente famille. Du pain béni pour les journalistes et tous les organismes pro palestiniens du monde. Et comme les incendiaires ont eu la bonne idée de tagger les murs et signer en hébreu afin qu’on les identifie bien au cas où personne n’aurait compris que c’est bien un acte commis par des juifs, les médias du monde ont immédiatement trouvé les coupables (j’ai lu dans un article de Libé qu’ils étaient quatre, bravo pour leur enquête plus rapide que notre police). Et nous, nous sommes repartis de plus belle dans notre auto flagellation. A coup de condamnations et de débats pouvant une fois de plus tomber de nouveau dans les extrêmes. Et de nouveau, certains n’ont pas hésité à profiter de l’occasion pour rouvrir un débat plus profond et réaffirmer leur soutien, ou leur aversion pour les colons. Comme si les auteurs de cette horreur étaient leurs représentants alors que nous avons affaire à un crime raciste horrible. Pourquoi lui donner plus d’importance ? Les autres ne se gênent pas de le faire pour nous.
Et de nouvelles questions s’imposent à moi. Combien y a-t-il de crimes religieux intra palestiniens chaque année ? Ne s’entretuent-ils jamais au nom d’Allah ? Lorsqu’il y a des crimes d’honneur au sein d’une famille palestinienne, lorsqu’un frère étrangle sa sœur car elle est amoureuse d’un autre homme que celui qui lui a été désigné ou promis, par exemple. Quels médias du reste du monde relayent leurs faits divers, ou en font une ?… A combien de temps d’antenne a eu droit la famille Fogel dont le criminel palestinien de 19 ans vient d’affirmer à son procès qu’il était fier d’avoir égorgé une famille de juifs dont un bébé ? A-t-on eu droit à un mouvement d’indignation générale de la société palestinienne sur la Toile, une manifestation de milliers de gens dans les rues pour protester contre l’intolérance et le terrorisme comme ce fut le cas à Tel-Aviv ? Que dalle ! Nous par contre, on se sent obligés de faire bien. Même Bibi y est allé de ses larmes et de ses condamnations afin de se démarquer lui aussi. Cela ne changera donc jamais. On va éternellement devoir se justifier aux yeux des autres. Chaque fois que l’un d’entre nous commettra un acte horrible, on se sentira tous concernés, du moins dans notre grande majorité. C’est lourd à porter. C’est aussi très chiant. Alors ok débattons, car nous y sommes obligés en quelque sorte. C’est ce que font ceux qui se trouvent du côté de la réflexion et de la raison. Mais faisons-le sans que cela vire dans les extrêmes, nous valons mieux que cela. Car de la même manière, ne sommes-nous pas tous fiers lorsque nous apprenons que l’un de nous a fait ou crée quelque chose d’extraordinaire ? Qui peut dire qu’il n’a jamais affirmé fièrement « C’est un juif » en parlant d’un chanteur célèbre, d’un grand docteur ou scientifique ayant fait une grande découverte, d’un sportif, d’une personnalité publique, ou encore d’un jeune ayant vendu sa startup des centaines de millions à Google… Cette chose que nous avons et qui fait souvent mal mais qui fait aussi tellement du bien, c’est exactement ce qui nous unit, qui est invisible, et que les autres ne peuvent pas comprendre. Ils nous en veulent aussi pour ça parfois, souvent même. C’est ce qui fait que nous sommes un peuple, et ça, quoi qu’il se passe, peu importe le nombre de leurs condamnations, ils ne nous l’enlèveront jamais.
Par David B. – © Le Monde Juif .info | Photo : DR