Publié le 2 Juil 2015

Maurice Lévy (PDG de Publicis) : « S’attaquer aux Juifs ne provoque plus de réaction de solidarité nationale »

MAURICE-LEVY

Discours intégral de Maurice Lévy, PDG du groupe Publicis, le 29 juin, lors de la soirée des Fondateurs du Centre Européen du Judaïsme :

L’islamisme radical de Daesh est le plus monstrueux des vecteurs de la haine. Les attentats de janvier à Paris sont au premier chef une forte résurgence d’un antisémitisme violent.

Nous étions nombreux à penser, à espérer que les effroyables stéréotypes, prétextes des pires atrocités du XXème siècle, étaient révolus. Et pourtant. Force est de constater que le consensus et le tabou nés de la Deuxième guerre mondiale et de la Shoah ne sont plus.

Depuis les années 1980 et les hordes des textes négationnistes, un nouvel antisémitisme, libéré, se déploie alors qu’Israël et les conflits moyen-orientaux s’invitent dans cette violence.

Cet antisémitisme est profond et sérieux. On ne peut pas le traiter à la légère. Même si certains disent qu’il est uniquement du fait d’une minorité de jeunes issus de l’immigration, qui sont fragiles du fait de ce qu’ils ont vécu et du cadre familial distendu.

Mais c’est Ilan Halimi, mort torturé en 2006, et en plus de l’assassinat de trois militaires, ce sont quatre exécutions – exécutions – et pas un autre mot, dont celles de trois enfants dans une école de Toulouse, Ozar HaTorah. Ce sont quatre personnes abattues par Medhi Nemmouche parce qu’ils se trouvaient dans un musée juif. Ce sont bien sûr, quatre personnes tuées dans un Hyper Cacher de Vincennes parce que l’hyper était juif.

Ce sont toujours plus de Juifs, et plus particulièrement des Français, qui partent chercher la sécurité, leur sécurité en Israël. Et s’il est infiniment préférable de faire son alyah pour des raisons positives, comment oser les blâmer alors qu’un sentiment d’impunité domine. S’attaquer aux Juifs ne provoque plus de réaction émotionnelle et de solidarité nationale. Rappelez-vous Carpentras, et rappelez-vous combien de gens étaient descendus dans les rues et voyez depuis quelques années dans quelle indifférence tous ces événements interviennent. Et cela, malgré une prise de position indiscutable du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur.

À travers les exécutions de Charlie Hebdo, c’est une liberté fondamentale de 1789 qu’on a cherché à éliminer. Celle de penser et dire ce que l’on veut dans les limites de la loi. C’est sans doute, autant la barbarie de l’attentat que l’atteinte à nos libertés gagnées de hautes luttes, qui ont provoqué une telle émotion et cet élan de solidarité à travers le monde.

N’oublions jamais les deux visages de cet islamisme radical. L’un cible le Juif, ici, ailleurs, et l’image d’Israël avec toutes les distorsions possibles. L’autre cible notre vieille maison Europe, ses valeurs, ses principes fondamentaux, par-delà, et avec le judaïsme européen.

Alors, prenons garde aux amalgames, je n’accepte pas d’être l’otage d’une confusion mensongère et meurtrière, entre antisémitisme, antisionisme et antiracisme.

L’antisémitisme est une doctrine qui vise à supprimer les droits des particuliers, jusque dans certains cas, celui de la folie, à les exterminer eux-mêmes. Ce ne peut-être en aucun cas un délit d’opinion, c’est un crime, et il doit être traité comme tel sans délai.

C’est cela notre République. Une et Indivisible. C’est cela le fondement même de notre droit européen défendu par la Convention européenne des Droits de l’homme.

Et je n’accepte pas, pas d’avantage, d’être l’otage d’une politique étrangère ou d’une politique intérieure, sous prétexte de l’importance relative de notre communauté juive française et européenne, dans des enjeux de l’immigration.

En tant que Juif, je suis sincèrement attaché à Israël mais en tant que Français juif je ne souhaite pas qu’un homme politique, quel qu’il soit, me dise où aller, quand aller et que dire.

Je suis reconnaissant à la France pour tout ce qu’elle a fait pour nous, pour moi, pour notre collectivité. C’est à cela que nous répondons d’une manière extrêmement engagée ce soir.

Cette soirée est celle des – Fondateurs -. Un terme fort qui doit être utilisé avec parcimonie pour ne pas le galvauder. Mais un terme qui, en certaines circonstances, est profondément juste. Ce terme est si juste qu’il s’agit bien de fondations cultuelles, culturelles et temporelles.

En quoi, et quoi de mieux, qu’une inscription physique dans l’espace. Avec Béréchit, la première lettre de la Torah est devenue le Beth – la maison -. C’est une maison des communautés juives de France et d’Europe que nous inaugurons. Avec ce formidable bâtiment, ce lieu de vie ouvert, nous posons collectivement notre pierre.

En fait, trois pierres, d’abord une pierre institutionnelle pour défendre l’avenir du judaïsme européen. Il s’agit de rester fidèle. Fidèle à deux milles ans d’histoire juive en Europe. Cela fait deux milles ans que nous sommes là. Qui a le droit de nous dire de partir ? De défendre un patrimoine exceptionnel tout en prenant part au monde futur. Cette maison de veille et d’échange sera également le siège des services consistoriaux.

Ensuite, une pierre cultuelle, avec le souci constant de transmettre aux générations futures, notre message universel et tolérant, curieux des arts, des lettres et des sciences, qui devra à la fois, transmettre les valeurs du judaïsme à travers la synagogue et le talmud torah, et travailler à préserver la diversité religieuse européenne, la laïcité et le formidable garant France.

Enfin, une troisième pierre, une pierre à l’édifice collectif européen, à travers la défense du vivre ensemble et du respect de l’autre.

En ce lieu, nous prendrons toute notre responsabilité à ce travail pour le bien commun.

Retranscription intégrale E.H. pour Le Monde Juif .info | Photo : Le Monde Juif .info

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