EXCLUSIF | Frédéric Encel : « L’affaiblissement de pays hostiles ne peut que favoriser Israël »
INTERVIEW – Du redécoupage des frontières au Moyen-Orient à la menace djihadiste en France, Frédéric Encel, docteur en géopolitique et auteur de Géopolitique du printemps arabe, répond aux questions du Monde Juif .info.
Sommes-nous à l’ère d’une recomposition radicale des frontières du Proche et du Moyen-Orient ?
Du moins de certaines frontières, et parmi les plus anciennes. Celle syro-irakienne par exemple avait été conçue entre 1916 et 1920 ! Si les djihadistes de l’Etat islamique avaient pu impunément poursuivre leurs offensives, peut-être la frontière jordano-irakienne – aussi ancienne – et l’irako-saoudienne auraient été bousculées également.
Certains pays occidentaux estiment que l’Iran est essentiel dans la lutte contre l’État islamique. Qu’en est-il vraiment ?
L’intérêt de l’Iran comme puissance principale du chiisme dans le monde est naturellement de voir chuter des sunnites radicaux, notamment à ses portes. Et, du reste, sans dépenser un dollar ni perdre un soldat, Téhéran va bénéficier en premier lieu de l’affaiblissement prévisible de l’État islamique.
Quels sont les liens réels ou supposés de la Turquie avec l’État islamique ?
La Turquie joue un jeu trouble depuis les débuts du printemps arabe, lequel lui a complètement échappé. Le tandem islamo-conservateur Erdogan/Davutoglu a cru pouvoir jouer à fond les Frères musulmans – comme en Egypte – voire des groupes plus radicaux à ses frontières. Résultat : un renforcement par les grandes puissances occidentales des Kurdes d’Irak, cauchemar pour Ankara ! Officiellement, la Turquie fait partie de la grande coalition anti État islamique, mais sur le terrain la frontière a jusque-là été assez poreuse, notamment concernant les trafics de pétrole par les djihadistes.
Cette « balkanisation » de la région est-elle une opportunité ou un risque majeur pour Israël ?
Théoriquement, l’affaiblissement de pays hostiles ne peut que favoriser Israël. Regardez aujourd’hui l’état désastreux de la Syrie, du Soudan ou de l’Irak, pour ne prendre que les plus radicalement antisionistes ! Aucune coalition arabe ne pourrait sérieusement prétendre menacer l’existence de l’Etat juif. Cela dit, en lieu et place des régimes arabes nationalistes et centralisés, peuvent s’imposer des groupes islamistes fanatisés comme en Somalie, en Libye ou au nord de l’Irak. Même relativement éloignés de ses frontières immédiates et surtout occupés à guerroyer localement, ils devront être surveillés de près par Israël.
Les attaques terroristes en territoire israélien via les tunnels offensifs ont surpris les stratèges militaires israéliens. Le Hamas est-il encore en mesure de frapper durement Israël avec des effets de surprises ?
Le Hamas a perdu l’essentiel de ses capacités offensives durant la guerre de l’été 2014. C’est vrai des engins balistiques et armes à tir courbe, c’est vrai aussi des tunnels, neutralisés par Tsahal.
Le retour des djihadistes en Europe, en France notamment, n’est qu’une question de temps. La France est-elle selon-vous préparée à faire face à la menace, en particulier dans la protection des Juifs de France ?
La France est sans doute le mieux préparé des États européens, tant sur le plan judiciaire que policier.
Frédéric Encel, docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à l’ESG Management School. Auteur de Géopolitique du printemps arabe (PUF, 2014).
Propos recueillis par Yohann Taïeb – © Le Monde Juif .info | Photo : DR