Publié le 19 Déc 2013

Bigger than life, 100 années d’Hollywood. Une expérience juive

100-Jahre-Hollywood-CoverVous qui n’étiez pas à Vienne l’an dernier, et vous étiez fort nombreux, vous avez hélas manqué la formidable exposition consacrée aux origines juives de Hollywood organisée par le Musée juif de Vienne. Vous pourrez toujours vous consoler en parcourant le magnifique ouvrage (en allemand) tiré de l’exposition. Son titre borroméen « Bigger than life, 100 années d’Hollywood. Une expérience juive » dit d’ailleurs bien l’ambition de ses auteurs, à savoir celle de cartographier les territoires de l’inconscient du septième art. 

Hollywood était-il juif ou antisémite ? Si le débat sur l’orientation politique de ce petit coin de la Nouvelle Terre Promise a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre, ne nous racontons pas d’histoires : l’usine à rêves doit bel et bien beaucoup aux Juifs d’hier et d’aujourd’hui. Rien de bien nouveau sous le ciel étoilé me direz-vous et vous aurez sûrement raison. Pourtant l’odyssée photographique de « Bigger than life » mérite incontestablement le détour en cela que tous les âges de Hollywood y sont explorés, depuis la fondation des premières salles de cinéma par Marcus Loew jusqu’aux succès actuels du box-office faisant la part belle à des personnages juifs tantôt héros, comme Shosanna dans « Inglourious Basterds », tantôt anti-héros, à l’image de Larry dans « A serious man ».

L’ouvrage « Bigger Than Life » met, classiquement, en scène la genèse de Hollywood grâce à des hommes d’affaires juifs venus de l’Orient viennois, Adolph Zukor, fondateur de Paramount, William Fox (Fox Film Corporation), les frères Albert, Harry et Sam Warner, Louis B. Mayer et Samuel Goldwyn (MGM) ou encore Carl Laemmle (Universal). Il souligne aussi qu’il n’existe pas une autre communauté qui ait autant influencé Hollywood, quels que soient les domaines, qu’il s’agisse de la production, de Mel Brooks à Robert Zemeckis, de la musique, d’Elmer Bernstein à Danny Elfman, ou de l’interprétation, de Marilyn Monroe à Scarlett Johansson et de Kirk Douglas à Shia LaBeouf.

Des années 1930 au 21e siècle, les certitudes demeurent : que serait le cinéma made in America sans les réalisateurs juifs de la période dorée (Ernst Lubitsch, Billy Wilder, Michael Curtiz ou encore Fred Zinnemann) qui ont permis d’aborder des thématiques aussi essentielles que le chômage (« The shop around the corner »), la censure cinématographique (« Assurance sur la mort ») ou le maccarthisme (« Le train sifflera trois fois ») ? Qu’auraient été les années 1970 sans « Rencontres du Troisième Type » et « Soleil vert »? Quid du Nouveau Hollywood sans « Le Lauréat » et « Easy Rider » ? Enfin, peut-on tout simplement penser à Hollywood sans les interrogations existentielles et protéiformes de Woody Allen, des frères Cohen ou d’Aronofsky ?

Mais outre son côté pédagogique et les réponses apportées, la force de cet ouvrage réside aussi dans sa mise en lumière d’aspects (légèrement) moins connus. Saviez-vous, par exemple, que le premier vampire du cinéma américain fut Theodosia Burr Goodman, fille d’un tailleur de Cincinnati, que ses producteurs avaient choisi de nommer Theda Bara (dont l’anagramme donne Arab Death), et de présenter comme la descendante d’un artiste français et d’une princesse arabe ?

La réflexion se fait plus philosophique au moment d’aborder les motivations qui sous-tendent la sélection d’un acteur. La prédilection pour des comédiens juifs pour jouer les rôles de voyous italiens dans les films de gangster des années 1930 (« Le petit César », « L’ennemi public », « Scarface », première mouture) aurait-elle un lien avec l’accent porté sur la question de l’origine du protagoniste ? Et plus loin, qu’ont donc tous ces Juifs en commun ? Un don inné pour l’art, les affaires ? Un sens de la cooptation ou de la reconversion après le départ d’Europe ?

Werner Hanak-Lettner, le commissaire de l’exposition et co-auteur de l’ouvrage, préfère plutôt parler du caractère insaisissable de l’identité juive, l’illusoire quête de la normalité et du mainstream, quitte à créer celui-ci de toutes pièces. Il n’est pas étonnant alors que les Juifs d’Amérique aient saisi l’opportunité de vivre sur une autre terre vierge pour façonner, le temps d’un film, une éphémère image camusienne de leur pays, une image rassurante, fantaisiste et pleine de possibilités.

“Bigger than life. 100 Jahre Hollywood. Eine jüdische Erfahrung », Editions Bertz & Fischer, 2011. 208 pages

Cet article a été très librement inspiré de celui de Jochen Kürten paru en 2012 dans la Deutsche Welle. Voir http://www.dw.de/bigger-than-life-100-jahre-hollywood/a-15567946

Skander Ben Mami – © Le Monde Juif .info 

photos : DR 

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