Publié le 16 Juin 2013

Une courte histoire de la Shanghai juive

Par Yossi Dokhan

On survole d’abord l’embouchure parsemée d’ilots, là où finissent les gigantesques méandres du Yangtze-Jiang. On voit les navires appareiller dans ce qui est désormais le plus grand port du monde. Puis, c’est un territoire de lacs et d’étangs, de rivières et de larges canaux qui, malgré la brume persistante, reflètent un cuisant soleil. Enfin l’avion se pose le long de la mer de Chine : nous sommes à Pudong, un quartier sud de Shanghai. Shanghai, la ville sur la mer. Plutôt que le taxi, prenez le Maglev, train rapide vers la ville qui file à plus de 400 km/heure !

shanghai bund 1920

Une cité tentaculaire où depuis une vingtaine d’années, les gratte-ciels se sont mis à pousser comme nulle part ailleurs. A New-York élégante et classique, lorsque vous quittez Manhattan la ville devient basse. A Shanghai la baroque, le long de Yanan Lu aerial road, on évolue dans une jungle de hauts buildings qui se déroule sur des dizaines de kilomètres.

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Enfin apparait le Bund et ses immeubles néo-classiques de granit gris et beige, quartier niché le long d’un lacet du fleuve Huangpu .Aussitôt, on se retrouve plongé dans ce que fut le « Paris de l’orient » marqué pendant plus d’un siècle par sa présence juive.

Des communautés juives se trouvaient à travers tout l’empire du milieu et principalement à Kaifeng qui fut un temps la capitale de la Chine depuis le septième siècle de l’ère courante. Marchands en provenance de la Perse et de l’Inde qui avaient enfin posé leur valise. La première synagogue connue date du 11eme siècle.

Mais plus tard, dès la première moitié du 19eme siècle, une nouvelle immigration dite « des sépharades » se constituent de familles originaires de Bagdad -les fameux « Bagdahdis »-parfois en passant par l’Inde, principalement de la ville de Bombay, changeant l’histoire de cette ville. En flânant sur le Bund ou le long de Nanjing Lu, on peut s’apercevoir à quel point le développement de la cité est lié à la présence de ces célèbres familles philanthropes ; les Kadoory, les Sasoon,les Haym, les Hardoon..

Elias David Sasson, justement surnommé « le Rotschild de l’Asie », débarque dès 1844 sur le continent et développe ses activités de négoce et de banque à Shanghai mais aussi au sud à Guangzhou et à Hong-Kong. Il achète des hectares de ce qui était alors des marigots malsains qu’il assèche et qu’il commence d’urbaniser. D’ailleurs, érigé sur ces anciens marais, le Bund continue lentement de s’affaisser d’années en années, si bien qu’il a fallu monter une digue pour contenir le Huangpu. Dès l’origine, la pieuse famille Sasson crée d’écoles et d’institutions communautaires afin d’enseigner aux enfants la pensée juive et perpétuer les traditions.

Son descendant Victor érige lui, le légendaire « Peace Hôtel » au 20 Nanjing Lu qui devient le passage obligé de toute la belle société Shanghaienne du début du 20eme siècle et des célébrités de passage dans la ville.

Les Bagdahdis seront bientôt suivis vers 1905 par les Russes éreintés par les persécutions tsaristes. Une nouvelle vague arrive toujours par la même route après la révolution de 1917 qui coïncide avec le début de la première guerre mondiale. Ces immigrants s’arrêtent un temps dans le nord du pays à Harbin en Mandchourie. Finalement, ils continueront leur route vers la cosmopolite et bouillante Shanghai dès que commencera l’occupation japonaise en 1931.

La période de la guerre n’affecte pas le développement fulgurant de la cite. Au contraire, ce qui était un bourg marécageux cent cinquante ans plus tôt, devient dès les années 1920, le cinquième port mondial d’une métropole avec pas moins de 4,4 millions d’habitants ! Les fortunes se font dans la banque ou le négoce de coton, de soie, de caoutchouc, d’opium ou même d’armes.

Dans une rare fulgurance, des synagogues sont bâties, les unes après les autres, pour témoigner de la réussite de leurs commanditaires, et respecter l’origine du culte soit sépharade soit ashkénaze.

Un hôpital, le Bnei Brith Polyclinic, était un Club Juif, conservatoire de musique où se réunissaient tous les sionistes de la ville qui rêvaient d’un départ pour la Terre Promise. Ou, le Hardoon Exhibition Hall ou le Hardoon Gardens nommé d’après le propriétaire de 45% des immeubles de Nanjing Lu, the Shanghai Jewish School – comprenant un mikve- qui jouxtait la synagogue Ohel Rachel-toujours en place-, et dont la réputation dépassait les frontières du pays, the Old Market où se trouvaient nombre de magasins tenus par des Juifs ainsi qu’une boucherie cachère.

ohel moshe

Les développements de la guerre Sino-Japonaise en 1937 ; 4000 morts dont certaines victimes juives, suite aux bombardements du mois d’août sur la ville, les destructions dans le quartier très peuplé de Hongku où beaucoup de Juifs résident alors, vont noircir le tableau enchanteur qui avait caractérisé leur établissement dans la cité. Un an plus tard, les persécutions nazies se font de plus en plus précises et les 9 et 10 novembre qui voient se déchaîner le gigantesque pogrome de la Nuit de Cristal à travers l’Allemagne, accélèrent le départ de ces nouveaux apatrides. Les portes de toutes les nations se ferment les unes après les autres, et la seule et unique issue est le départ pour Shanghai ou la République Dominicaine. La ville devient alors la plus forte concentration juive de tout l’extrême orient.

chiune sempo sugiharaLe rôle prédominant de Shiune Sempo Sugihara, consul du Japon à Kaunas, en Lituanie, délivra environ 2150 visas de transit à ces Juifs apatrides dont certains en route pour le Japon s’arrêtèrent à Shanghai.

L’action d’un autre diplomate, le chinois Feng-Shan Ho, en poste à Vienne entre 1938 et 1940, en contrevenant aux ordres de ses supérieurs, permit d’épargner la vie de milliers d’autrichiens qui cherchaient à fuir les persécutions en leur délivrant 1200 visas pour Shanghai. Feng-Shan Ho quittera plus tard la Chine communiste pour les États-Unis où il finit sa vie.

 

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C’est dans le quartier de Hongku transformé en ghetto, surnommé Little Vienna, déjà surpeuplé, que s’installent 25,000 réfugiés, la plupart sans le sous qui devront compter sur les aides communautaires locales et de philanthropes américains pour survivre. Promiscuité, misère et maladie sont le lot quotidien du ghetto. Ceux qui avaient pu préserver quelques deniers depuis l’Europe purent malgré tout installer de petits commerces, mais jamais ils ne construisirent comme le firent leurs prédécesseurs. C’est cette époque qui voit aussi grandir la ferveur des Juifs de Shanghai autour de ce nouveau foyer national en Palestine. Les associations et les mouvements sionistes se structurent et beaucoup rêvent de pouvoir contourner le blocus Britannique..

beith aaron synagogue 1927 detruite 1985 shanghai

Aujourd’hui la ville compte trois organismes communautaires dont le Chabad en centre-ville au 233 Wunding road. On considère que la population juive s’élève à environ de 2500 personnes à l’intérieur d’une mégalopole de 22 millions d’habitants !

C’est peu, très peu, et pourtant, cette présence juive attestée en Chine depuis le premier millénaire, son exceptionnelle efflorescence à Shanghai dès le milieu du 19 e siècle, pour y atteindre son apogée dès le début du 20 e siècle, crée aujourd’hui un rapport particulier entre Israël et le géant chinois. Par exemple des « cours de civilisation israélienne. » sont même dispensés à l’université de Pékin sous la direction du professeur Zao-Shu.

ohel rachel-500 shangxi xilu

La New-York de l’Asie regorge d’hôtels et d’infrastructures rutilantes; facile donc de se loger du standard international jusqu’au budget de backpacker..Idem pour la restauration où se rencontrent toutes les gastronomies chinoises ; shandong et zheijang(au nord et au sud de Shanghai) mais aussi celle du guangdong, de beijing ,du sitchuan, du hunan, où les gourmets les plus raffinés pourront trouver leur bonheur. Il existe même pour les végétariens de succulentes préparations à base de légumes, plantes, épices et tofu. Sans parler des chefs installés dans la ville qui élaborent désormais une cuisine « fusion » ou moléculaire chez Pairet ou Vongerichten (celui de Colombus circle) les frères Pourcel et d’autres !

Depuis Tel-Aviv, El-Al dessert Shanghai via Beijing ou Hong-Kong trois fois par semaine.

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