Publié le 28 Mar 2013

Pierre-André Taguieff : « Jean-Luc Mélenchon tient un discours de guerre civile »

Interview parue dans Le Point, n° 2115, 28 mars 2013, p. 64.

Le philosophe et historien Pierre-André Taguieff réagit aux propos tenus le week-end dernier par le leader du Front de gauche à l’encontre de Pierre Moscovici.

taguieff

Le Point : Selon Jean-Luc Mélenchon, Pierre Moscovici aurait le « comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français, qui pense dans la langue de la finance internationale ». D’aucuns au parti socialiste parlent de « rhétorique des années 30 », d’autres avancent même l’accusation d’antisémitisme. Qu’en pense l’auteur de « La Judéophobie des Modernes ? »

Pierre-André Taguieff : Sur la seule base de ces propos polémiques, on ne peut logiquement conclure à l’antisémitisme du leader d’extrême gauche. Ce qu’on peut en inférer, c’est que M. Mélenchon, ennemi déclaré de la « finance internationale » aux multiples visages, est un partisan d’une forme de « socialisme national » qui reste à définir. Ce qui étonne, c’est que M. Mélenchon, réputé s’intéresser à l’Histoire, reprend un topos bien connu du discours antisémite depuis la fin du XIXe siècle : en l’accrochant au nom d’un dirigeant politique dont les origines juives sont notoirement connues, il a pris le risque d’empoisonner le débat politique. La démagogie consiste à accuser les « riches » ou les « dominants », intrinsèquement pervers, cyniques et exploiteurs, d’être à l’origine des malheurs du monde, tout en flattant le « peuple », célébré comme « sain » et « honnête », et victime des élites illégitimes. Le nationalisme plébéien se marie souvent, depuis l’épisode boulangiste, avec un socialisme épurateur, visant à « nettoyer » la République : « Qu’ils s’en aillent tous ! » lançait-il en 2010. Au nom de la lutte des classes, c’est un discours de guerre civile que tient le démagogue Jean-Luc Mélenchon.

Exagèrent-ils, ceux qui prétendent que les extrêmes sont en train de se rejoindre dans cette même rhétorique anti-élite ?

On a assisté, sous l’impulsion de Marine Le Pen, à une « socialisation » du discours lepéniste, en même temps que s’opérait une « nationalisation » du discours de l’extrême gauche mélenchonienne. Cela a fait surgir une zone d’interférences idéologiques où circulent des slogans de même facture : antiélitiste, antimondialiste. La nouveauté de ces dernières années, c’est qu’il y a eu une « désextrémisation » doctrinale des « extrémismes » de gauche et de droite, tous ralliés à la vulgate anticapitaliste. Ils se retrouvent et se confondent dans une même déclaration de guerre contre ce que leurs ancêtres appelaient la « fortune anonyme et vagabonde », à l’époque où la « finance internationale » s’appelait « Rothschild ». Le « socialisme national » est l’inquiétant rejeton né de la crise.

Le leader du Front de Gauche est revenu sur cette accusation d’antisémitisme, en expliquant qu’il ignorait « la religion » de Pierre Moscovici et en ajoutant que si Pierre Moscovici était menacé « parce qu’il est juif », « il [les] trouverait tous, comme un seul corps, pour le défendre »…

Il déplace ainsi le terrain du débat : dans le discours antijuif, la question n’est pas tant celle de la religion que celle de l’identité ethnique ou imaginée telle, à travers divers stéréotypes. M. Moscovici n’a jamais mis en avant son éventuelle appartenance communautaire au judaïsme, mais il n’a jamais nié être d’origine juive. L’ex-ministre socialiste tient ensuite à nous convaincre qu’il serait en première ligne pour le défendre. Mais s’est-il seulement ému des pointes antijuives lancées par son ami Hugo Chávez et son entourage ces dernières années ? Gare à ceux qui ne pensent pas en français !, dit-il. Faut-il leur conseiller l’ouvrage Penser français, publié en 1942, aux Éditions de la Légion française des combattants et volontaires de la Révolution nationale ? On y dénonce aussi le « capitalisme international » et la « haute finance internationale ». Le 25 mai 1943, le Maréchal déclarait à Mgr Calvet, à propos de « la France » : « Il faut la guérir. (…) Il faut la refaire, refaire son esprit, lui réapprendre à penser français. » Les formules restent, indices de tentations persistantes. Chassées par la porte elles reviennent par la fenêtre.

 

Pierre-André Taguieff publie le 10 avril, chez Fayard/Mille et une nuits, un « Court traité de complotologie », dédié au psychologue social Serge Moscovici… père de Pierre Moscovici. Il publiera aussi le 15 mai, aux PUF, un très attendu « Dictionnaire historique et critique du racisme », d’environ 2 000 pages.

 

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