Les 150 ans du Petit Journal, créé par le petit-fils d’un « Juif du Pape ».
Par Deborah Partouche – lemondejuif.info
Le Petit Journal paru début février 1863 à 1944, est un quotidien parisien républicain et conservateur.
À sa création, le journal parle de tout, sauf de politique afin de ne pas payer de lourd tribut imposé par les autorités en place et ainsi, être accessible à tous. Le second Empire favorise alors le développement de cette feuille bon marché. Après le 4 septembre 1870, le timbre supprimé, Le Petit Journal peut enfin parler de politique ! Hélas, il ne fera pas toujours les plus heureux choix. En 1898, il est antidreyfusard et en 1937, il devient l’organe du Parti social français, d’ailleurs de 1940 à1944, il reçoit chaque mois une subvention du gouvernement de Vichy et arrête donc sa publication peu avant la libération.
On peut lire dans L’Almanach de 1940 « Les générations actuelles ne peuvent imaginer ce qu’était la presse avant l’apparition du journal à cinq centimes, du journal populaire mis à la portée de toutes les bourses. La presse ne jouissait d’aucune liberté. Des législateurs ombrageux lui avaient fait un code bizarre et l’avait reléguée hors du droit commun. Son état était d’exception. Le gouvernement ne souffrait d’elle rien qui pût, non pas même le blesser, mais simplement l’égratigner. On exigeait des journaux de lourds cautionnements ; une censure jalouse les surveillait de près ; à la moindre critique, à la plus petite allusion politique, les amendes tombaient sur eux dru comme grêle, à la récidive, c’était l’interdiction. C’est assez dire que la masse du peuple, les ouvriers, les employés, les petits bourgeois étaient condamnés à ne point lire les journaux. Les gens aisés eux-mêmes y regardaient à deux fois avant de s’abonner à un journal.».
À la veille de la guerre de 14-18, c’est l’un des quatre plus grands quotidiens français d’avant-guerre. Il tire à un million d’exemplaires en 1890 en pleine crise boulangiste, mouvement politique français de la fin du XIXème siècle qui constitua une menace pour la Troisième République.
Fondé par Moise Polydore Millaud né à Bordeaux, journaliste, banquier, entrepreneur de presse du XIXe siècle, il est issu d’une famille juive originaire du Comtat Venaissin, région cédée en 1274 au Saint-Siège et restée sous son administration jusqu’à la Révolution française en 1791. On appelait ces Juifs, « Les Juifs du Pape ». Avec les Juifs alsaciens, ils sont pendant plusieurs siècles une des deux seules communautés juives autorisées à vivre dans ce qui constitue aujourd’hui la France.
Dès 1833, Moise Polydore Millaud crée à Bordeaux son premier journal, Le Lutin et prend le pseudonyme-anagramme de Duallim pour signer ses articles.
En 1836, il monte à Paris et fonde successivement Le Gamin de Paris, premier journal vendu à la porte des théâtres, et Le Négociateur, un journal financier.
Prolifique, innovateur, dans la foulée il publie L’Audience, gazette judiciaire paraissant le lundi, puis, en 1848, La Liberté, une feuille soutenant Louis Napoléon Bonaparte, supprimée après les Journées de Juin.
En 1849, Millaud s’appuie sur la popularité de Lamartine , lequel vient de signer le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848, pour lui confier la revue littéraire mensuelle Le Conseiller du peuple.
Créateur d’un concept génial : le journal à un sou, le journal pour tous, homme d’affaire, homme de lettres, républicain, novateur et résolument moderne, Moise Polydore Millaud est décédé le 13 octobre 1871, un an après que son « Petit Journal » ait pu s’exprimer politiquement en toute liberté sans subir les affres des gouvernants en place. Il est à parier que celui qui eut l’idée géniale de publier le roman de Rocambole en épisode dans son « Petit Journal » (première du genre) aurait eu, très certainement, contrairement à ses héritiers, un autre choix d’engagement politique…