4 février 1738 le « Juif Süss » est pendu : naissance du mythe antisémite du « juif de cour »
Le 4 février 1738, Joseph Süss Oppenheimer, un éminent conseiller juif proche du Duc Karl Alexander du Wurtemberg, a été exécuté par pendaison à Stuttgart, après avoir été accusé à tort d’une litanie de charges, allant de la pratique de la magie noire à la haute trahison, en somme le parfait bouc émissaire.
Oppenheimer, péjorativement nommé le « Juif Süss » a figuré dans un certain nombre d’œuvres littéraires et dramatiques au cours des siècles, il a notamment donné naissance à une nouvelle de Wilhelm Hauff (1827), à plusieurs études historiques au XIXe siècle, au roman de Lion Feuchtwanger (1925), aux pièces d ’Ashley Dukes (1929) et de Paul Kornfeld (1930), et au film antiraciste de Lothar Mendes (1934). Mais aussi et surtout au funeste film de propagande nazie réalisé en 1940 par Veit Harlan.
A l’initiative de Joseph Goebbels, ministre de la Culture et de la Propagande du III e Reich, le cinéma nazi s’est emparé de ce personnage historique. En effet Veit Harlan réalise en 1940 le film « Jud Süss », où certains crimes attribués au personnage central vont justifier les mesures antijuives du moment.
Né à Heidelberg en 1698, Oppenheimer montre très rapidement de grandes aptitudes pour les affaires. Il est présenté au Prince Karl Alexander en 1732, quand ce dernier était le gouverneur de la Serbie, il devient alors son banquier et conseiller. Au fil du temps, il est devenu le plus proche confident du prince, devenu le Duc de Wurtemberg en décembre 1733. Oppenheimer aide le duc à régler ses finances, en trouvant de nouvelles sources de revenu (impôts, taxes, cachets, mise en place de plusieurs monopoles sous la propriété du duc) et lui donne aussi la responsabilité de diriger l’Hôtel des Monnaies.
L’immense pouvoir, la puissance et l’influence grandissante d’Oppenheimer et surtout, crime absolu aux yeux de ses pires détracteurs, le fait qu’il aide souvent financièrement la communauté juive locale, ont mené au ressentiment profond parmi les ennemis du duc et plus tard parmi la vindicte populaire. De nombreuses rumeurs circulent laissant supposer qu’Oppenheimer serait impliqué dans un vaste réseau de fausse monnaie. Ecœuré de ses rumeurs haineuses, il exige une enquête et démissionne, mais Karl Alexander lui conserve toute sa confiance, en faisant de lui son conseiller personnel de la finance.
En 1736, on donne aussi à Oppenheimer de nouvelles hautes responsabilités à un poste sensible, celui des nominations à la cour, un poste entaché par le passé de plusieurs affaires de dessous-de-table. Son insolente carrière ne fait nourrir que d’avantage le ressentiment populaire. Quand Karl Alexander meurt, soudainement le 11 mars 1737, tous les Juifs de Stuttgart sont placés en état d’arrestation. Oppenheimer tente bien de fuir, mais il est aussitôt arrêté puis inculpé pour fraude, détournement d’argent, haute trahison et de relations illicites avec les femmes de la cour et accusé d’avoir défloré de jeunes vierges chrétiennes. Il est reconnu coupable et condamné à mort.
Ses bourreaux tentent en plusieurs occasions de le convertir au christianisme, un acte qui pourrait lui sauver sa vie, mais il refuse, même à la toute dernière minute quand il est mené à la potence. Ses derniers mots à ses bourreaux et à la foule seront : « Je mourrai comme un Juif. Je suis la victime d’une violence et d’une injustice. » et pour finir, il récite le « Shéma Israël ». Les gravures de l’exécution le 4 février 1738, montrent une foule de plusieurs milliers de personnes. Après sa mort, son corps sera laissé en spectacle dans une cage pendant six ans.
Déborah Partouche – © Le Monde Juif .info
© Photos : DR
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