Tou Bishvat, planter un arbre, comme un retour vers le futur de l’homme.
Le temps juif est exclusivement le temps de l’homme autour duquel l’être humain se construit et éduque sa perception du relatif et de l’absolu.
Ce temps est circulaire, faisant retour sur lui-même, car fondé sur la perception archaïque et primordiale depuis la nuit de l’origine balbutiante du biologique, des mécanismes d’une nature cyclique. Le jour et la nuit, le cycle quotidien des marées, la révolution lunaire, l’alternante récurrente des saisons sont autant d’exemples des rythmes de scansion du temps. Seule la semaine en hébreu « Shavoua » échappe à cette cyclicité naturelle. C’est un temps arbitraire, proclamé par décret divin et entériné par l’homme : « six jours tu travailleras…et le septième sera shabat pour l’Eternel ton Dieu.. « (Ex.20-11), en souvenir même du « travail » de Dieu, créateur du monde en six jours, et sanctifiant le repos physique du shabat « Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car c’est en ce jour qu’Il se reposa de tout son travail de création… » (Ber.2-3)
L’année est le cycle majeur du temps humain. Son étymologie latine dit bien sa cyclicité, son caractère annulaire, circulaire et en quelque sorte clos. En hébreu, le mot « shana » (année) fait plutôt référence à la notion de changement « shinouy » (changement). L’année est donc circulaire mais aussi promesse de changement. Le temps qui fait retour ne revient pas strictement sur lui-même, il revient avec changement de trajectoire, c’est à dire, avec déplacement, évoquant plutôt un temps spirale, sinusoïdal et donc, ne se répétant pas vraiment, toujours ouvert. Tout reste possible dans le temps juif. C’est ce qui permet de jamais désespérer de l’avenir, et de savoir que l’on peut toujours modifier le cours des actes ou des événements, ou l’infléchir ou encore faire « retour » ( techouva)
La Mishna de Rosh Ashana nous enseigne qu’il existe dans le calendrier hébraïque non pas un nouvel an mais quatre.
-Le 1ier Tishri, début de l’année spirituelle et du jour du jugement de « tous ceux qui viennent au monde »
-Le 1ier Nissan, début de l’année politique et « laïque »
-Le 1ier Elloul, début de l’année « animale », période de prélèvement de la dime du bétail
-Le 15 Shvat, ou Tou Bisvat, début de l’année « végétale » ou nouvel an des arbres
Nous pouvons ainsi constater l’existence de 2 nouvelles années pour l’homme, dans deux dimensions, religieuse et civile, et 2 nouvelles années dans le monde animal et végétal comme pour nous signifier que le vivant, le biologique est unique. Bien que créée séparément du règne animal, l’humanité n’est pas étrangère aux autres créatures de la création. Elle reste en charge et donc en entière responsabilité de la nature entière « remplissez la terre et dominez-la… » (Ber.1-28)
C’est si vrai que la Thora en viendra à suggérer la proximité certes métaphorique de l’homme et de l’arbre, emblème le plus achevé du monde végétal en disant : « l’homme est un arbre des champs « ets sadeh »(Deut.20.19)
La similitude morphologique est certes en cause, mais n’explique pas tout. Comme un arbre, l’homme a des racines ; les jambes, un tronc, le corps et des branches, les bras. Comme lui, il donne des fruits, les actes de ses mains, et ses enfants. L’expérience du jardin d’Eden primordiale est au centre de cette similitude.
L’interdiction faite à Adam et Hava de la consommation de l’arbre du Bien et du Mal est à comprendre comme une métaphore de l’inceste. Dieu dit à l’homme : « de tous les arbres de la connaissance du Bien et du Mal » est aussi à comprendre comme arbres (hommes) tu mangeras (tu pourras t’unir), sauf de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal » (Ber.2-16)
Cet arbre interdit est celui que les Kabbalistes interprètent comme la figure des parents, dont l’accès doit rester interdit à jamais. Si la gestation se fait dans l’intériorité de la matrice maternelle, la naissance libère l’enfant de ce lien charnel à jamais. Cette allusion est à retrouver dans l’expression –‘ets hasadeh (arbre des champs) car le mot shadeh(le champ) peut aussi se lire, Shadah, son sein. Désormais, on comprend mieux que l’épisode meurtrier de Cain et de Havel qui se déroule « alors qu’ils sont dans les champs-basadeh » (Ber.4-8), s’est d’abord joué- beshadah- déjà, dans le sein de Hava, leur mère.
Pourtant, et malgré la relégation de l’Eden, et la mise en distance de l’arbre primordial des parents, le Judaïsme enseigne la nécessité de perpétrer cette métaphore entre l’homme et l’arbre par la fête de Tou Bishvat. C’est une invitation au retour vers les origines de l’Homme tout autant qu’un devoir de s’inscrire dans la chaine des engendrements et dans la transmission familiale.
Le Juif qui plante un arbre àTou Bishvat affirme sa volonté de créer de la suite, de procréer et d’engendrer les arbres de son éternité c’est-à-dire, ses enfants. Il affirme aussi plus obscurément sa confiance dans la résurrection des morts. Car le corps enterré est symboliquement considéré comme une graine sèche et comme sans vie, mais contenant en elle la potentialité de reviviscence, comme le dit le verset des Psaumes « …plante dans la maison du Seigneur, dans les parvis de notre Dieu, ils refleuriront » (Ps.92-14)
Planter des arbres, c’est ainsi affirmer le lien solide qui existe entre les générations des pères, appelés à revivre et celles des fils et des filles appelés à vivre. Mais cette affirmation passe par l’identification supplémentaire de l’arbre de la Thora car « elle est un arbre de vie-‘ets ‘hayim-pour ceux qui l’agrippent » (Prov.3-18). D’où la certitude que l’homme lui-même dans sa structure corporelle-en tant que métaphore de l’arbre- est le lieu où la Thora se développe, donnant ses fruits pour que l’homme tente d’être un peu plus heureux qu’il ne parait, « et celui qui la soutient se rend heureux… », et parvienne à la valeur ultime de l’expérience humaine, la paix et « toutes ses voies mènent au Shalom ».
Dr Herve Rehby – © Le Monde Juif .info | Photo : DR