Emile Berliner (1851-1929) – L’inventeur du disque.
L’aventure du son et de son enregistrement a toujours été associée à deux noms : Graham Bell et Thomas Edison. Curieusement, un autre inventeur de génie, contemporain de ces derniers, le juif allemand Emile Berliner, sera moins connu. Pourtant, son invention du gramophone et surtout du disque, fait de lui le véritable pionnier des technologies modernes d’enregistrement sonore.
D’un père négociant versé dans l’étude du Talmud, et d’une mère dont il héritera son goût pour la musique, Emile Berliner naît à Hanovre en Allemagne en 1851 dans une famille très modeste de treize enfants. Pour contribuer aux dépenses familiales, il travaille dès l’obtention de son certificat d’études à 14 ans. Le temps libre que lui laissent ses petits métiers, il le passe à combler sa soif de connaissance, devenant un parfait autodidacte. Commis dans un atelier de tissage, il manifeste pour la première fois ses talents d’inventeur en créant une nouvelle machine à tisser.
1870 : la guerre franco-allemande éclate. L’armée prussienne enrôle de force. Pour qu’il y échappe, ses parents l’encouragent à émigrer aux Etats-Unis.
A Washington, vivant de petits emplois, il fréquente les bibliothèques scientifiques et étudie assidûment tout ce qui a trait à ses passions : la physique, l’électricité et l’acoustique.
En 1876, à l’exposition du centenaire de la révolution américaine de Philadelphie, une des récentes découvertes scientifiques attire l’attention de Berliner : le téléphone. Son inventeur, Alexandre Graham Bell, en fait la première démonstration en public. Mais l’invention n’est pas encore au point : le message transmis par Bell n’est pas clair. Convaincu de pouvoir y rémédier, Berliner transforme son petit appartement en laboratoire d’électricité.
Après moins d’un an de recherches, Berliner réussit à améliorer le téléphone de Bell en y incorporant une invention révolutionnaire, le microphone, qu’il brevette en juin 1877. Immédiatement, la »Bell Telephone Cie » le contacte et lui offre une forte somme d’argent et un poste d’ingénieur bien rémunéré contre l’utilisation de son microphone. Lorsque Berliner accepte, une autre grande idée est déjà en gestation dans son esprit. En 1883, une petite fortune en poche, il quitte Bell et installe un laboratoire dans une demeure qu’il acquiert à Washington. Berliner se lance alors dans l’invention dont l’American Scientific dira à l’époque qu’elle »va changer la destinée de l’humanité »…
En 1887, Berliner brevette l’ancêtre du DVD : le disque ; avec son lecteur, premier tourne-disque de l’histoire : le gramophone.
A cette époque, le phonographe alors très populaire de l’inventeur Thomas Edison, utilisait en guise de support d’enregistrement un cylindre sur lequel le son gravé ne pouvait être ni recopié, ni être écouté plusieurs fois sans se détériorer. C’est ainsi que l’avantage déterminant qui imposera le concept du disque et contribuera à la fondation de l’industrie de l’enregistrement, fut la mise au point en 1888 par Berliner, d’un procédé de duplication du disque en un nombre infini de copies. Moins cher, plus maniable, le disque supplantera le rouleau de la »machine parlante » d’Edison qui disparaîtra peu à peu.
Alors qu’Edison destinait son phonographe au monde du travail, le gramophone de Berliner apportera une innovation culturelle.
En effet, c’est avec la diffusion du disque et sous l’impulsion de son inventeur passionné de musique, que pour la première fois l’on pourra entendre chez soi des œuvres populaires ou des concerts classiques jusque là réservés à une élite. Dès lors, de nombreux artistes deviendront par ce biais de véritables stars.
Au départ, faute de moyens, le gramophone sera un jouet commercialisé en Allemagne. En 1893, Berliner fonde la »United States Gramophone Company ». Il engage Fred Gaisberg, premier directeur artistique de l’histoire du disque, qui sillonnera le monde pour enregistrer les plus grands interprètes de l’époque. En 1895, la publicité attire un investisseur important qui permet à Berliner de perfectionner son appareil en l’équipant d’un moteur électrique remplaçant la manivelle. En 1896, le gramophone est lancé commercialement en Amérique : le succès énorme qui s’ensuit nécessitera une production à grande échelle.
En 1898, en association avec ses frères Joseph, Jacob et Manfred, il fonde à Hanovre la »Deutsche Grammophon », la première grande usine au monde spécialisée dans le pressage des disques. La même année, il implante en Angleterre la »Gramophone Company » puis l’année suivante, sa filiale en France.
L’affaire est florissante, mais les requins nombreux. Après une longue saga juridique contre des partenaires gourmands, qui iront jusqu’à faire contester ses brevets, Berliner retire son gramophone de la vente aux Etats-Unis, le fait breveter au Canada où il redémarre en puissance.
Dès 1900, Berliner fabrique désormais ses gramophones à Montréal. La »Berliner Gram-O-Phone Cie » ornera chaque étiquette de disque du célèbre et très convoité logo ‘‘His Master’s Voice », (HMV), marque de commerce inspirée d’une peinture représentant un chien reconnaissant la »voix de son maître » émanant du gramophone.
En 1904, l’usine de Hanovre presse plus de 25000 disques par jour et affine les techniques d’enregistrement pour s’enorgueillir d’un catalogue de plus de 5000 titres. En 1908, les premiers disques double face apparaissent. La production atteindra plus de dix millions de disques par an dans les années 20.
1929 marquera la prédominance de la radio dans l’industrie de l’enregistrement sonore. Après différentes fusions, C’est à la »Radio Corporation of America » (RCA), que la »Berliner Cie » sera cédée. La suite fait partie de l’histoire de l’évolution technologique du disque qui de mains en mains subira plusieurs innovations pour aller du microsillon au DVD en passant par le CD…Ainsi l’invention de Berliner ouvrira la voie à un véritable âge d’or du disque pour des géants tels Siemens, Philips, Sony ou Thomson.
Inventeur prolifique, Berliner met aussi au point en 1915 des tuiles acoustiques qui permettent l’insonorisation des studios d’enregistrements et lieux publics (théâtres, églises…). Fasciné aussi par les débuts de l’hélicoptère, Berliner développe et teste dès 1909 trois modèles de moteurs. En 1922, il réussit le premier vol stationnaire qui intéressera l’armée américaine. Son fils Henry reprendra le flambeau en devenant président de la »Berliner Aircraft » de 1930 à 1954.
Grand philanthrope, après la mort d’un de ses enfants d’une affection intestinale, le domaine sanitaire lui tiendra aussi à coeur. Grâce à sa lutte acharnée, la pasteurisation du lait, jugée non nécessaire par les medecins de l’époque, devient en 1907, obligatoire aux Etats-Unis.
Fervent sioniste, Berliner apportera son soutien financier à l’établissement du foyer juif en Palestine bien avant la déclaration Balfour. Il contribuera aux côtés d’illustres personnages, tels entres autres Einstein et Freud, à la fondation de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Cet inventeur ingénieux qui prôna, sa vie durant, la compatibilité entre la science et le judaïsme, recevra quelques mois avant son décès, à 78 ans, la médaille Franklin couronnant ses travaux dans le domaine de l’enregistrement du son.
Perla Amiel – © Le Monde Juif .info
© photos : DR
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